STUDIO D’ACTION THÉÂTRALE

Exercice de mémoire Avec métaphore douteuse de Nathan Ulysses Alvarez

Une soeur, d’une année ma cadette. Nous avons grandi ensemble parfois sous le même toit, parfois dans des pays différents. Une soeur qui m’a fait grandir, et que sans doute, d’une manière ou d’une autre j’ai fait grandir moi aussi. Une relation familiale singulière, pas comme une autre pour des raisons évidentes.

Ce qui nous rapproche d’une famille plus normale sont les affections, les connections innées ou encore l’intime confiance que l’on se fait. Mais c’est pas seulement une histoire d’amour. C’est des jalousies, des concurrences, des arrogances, des moments de tendresse, de haine et de réconciliation d’éloignement et de rapprochement. Le début est flou, nous étions très jeunes. Moi, j’avais 2-3 peut être 4 ans et elle apprenait à peine à respirer.
A Berne. Dans un grenier. Je me souviens d’un cheval en bois. Dans un autre théâtre. Rouge peut être. J’ai des images en tête. Je me souviens d’une vaste quantité d’affiches A3 qui semblait énormes pour moi, étant petit. Il me semble que pour les années qui suivaient Die Hochzeit zwischen Himmel une Hölle  l’affiche a servi comme fantastique support pour mes tout premiers dessins. Support pour les tout premiers desseins de nous deux, en quelque sorte.
Je me souviens d’un hangar en Espagne. D’une nounou qui me faisait voir des films inadéquats pour mon âge, des films violents, pendant que vous travailliez dans le hangar. Je me souviens avoir été chiant. Peut-être que ma soeur aussi était chiante. Un « chiant » différent. Nous avons grandi à des pas si différents et avons atteint des étapes de maturité à des intervalles qui ne correspondent pas les un-e-s aux autres. Je suppose c’est normal. Un humain et une compagnie de théâtre ça évolue différemment.

Le théâtre du Garage. Presqu’un chez toi. La seule fois où nous étions sur scène ensemble. On m’a donné un masque en silicone et je devais taper un bâton sur le sol. J’étais un mendiant dans La Parabole du Festin. Pendant une représentation je me souviens avoir sauvé une scène quand quelqu’un avait oublié de mettre un pot de terre liquide sur scène. Je me rappelle du Chant d’amour et ses fenêtres coulissantes.
J’ai souvent eu le plaisir de reconnaitre un nom, un titre, une ou un auteur-e ou citation que quelque part durant ma vie j’ai appris à travers le SAT. Tout à coup je réalise la place que cela a dans l’histoire de l’art, de la littérature, du théâtre ou généralement de ado, jeune adulte je voyais différente ou pas du tout.

C’est comme retourner à un endroit après des années et le voir avec des yeux entièrement nouveaux.
Ainsi, je découvre qu’Un Chant d’Amour, est d’abord un film muet magnifique, mythique qui m’inspire pour faire de la musique. J’apprends que Pere Ubu  est un groupe de rock avant-garde et légendaire. J’écoute la musique de Vitalic  pour le film Kaspar Hauser et je pense au petit cheval en bois rouge. Et je découvre que Peer Gynt  ne sont pas que des délires d’Antonio, mais aussi de belles mélodies de Grieg. Et surtout je tarde des années à faire le lien entre le monologue de Lise Zogmal et mon nom dans La Nuit de Molly Bloom.

Ensuite il y a eu la naissance du (premier) Galpon qui à ce jour aura été la maison où nous avons partagé le plus de moments. Je me souviens de la naissance même, des manifestations, des campings en Vieille Ville et des moments de tension sur le site qui est devenu Artamis. Moi gosse curieux, elle compagnie de théâtre qui se languissait d’un chez-soi permanent.
Je me souviens de gars qui faisaient de la techno avec des machines dans un charriot Migros. Ou encore de la Police anti-émeutes sur les toits des anciens services industriels de Genève.

Cette soeur, le SAT, grandit et mûrit rapidement. Moi aussi. Je pense que c’était les années les plus formatrices, pour elle, comme pour moi. Nous avons entre 15 et 20 ans. Je lui fais des d’affiches. Jocaste, Mack, l’Hypocondriaque, L’Origine Rouge,  ah L’Origine Rouge,  quand je vivais au Galpon toute une semaine avec mon groupe de Liverpool. Nous faisons connaissance avec Heiner Müller qui nous a appris à voir l’histoire, le monde à travers des yeux critiques des classiques tels que Hamlet, Titus, Laclos, Macbeth.
J’ai 21 ans, elle a 20 ans je célèbre ma fête de départ au Galpon et je pars en Angleterre. Nous restons en contact, elle a une magnifique nouvelle maison, moi aussi. Aujourd’hui nous nous surprenons peut-être moins mais nous continuons à grandir ensemble. Je reviens pour chaque pièce. Elle reste informée sur ce que je fais.
Buvons un verre aux prochains dix, vingt, trente ans. Aux influences communes et aux influences différentes.
A un passé et un futur commun. Il y a des éléments d’elle que je ne comprendrai jamais et viceversa. Mais nous avons un lien qui est unique, un lien de parenté qui n’appartient qu’à nous deux.

Nathan Ulysses Alvarez, producteur, musicien, artiste.Il entreprend des études de music management à Liverpool
puis de musique à Londres. Il travaille entre Londres et Liverpool sur des projets musicaux et des événements à grande
échelle. Il joue avec Barberos (www.barberos.org), Lunch (www.lunchsounds.com) et travaille régulièrement avec
Kazimier Productions (www.thekazimier.co.uk)