SPECTACLE
« Quand on a cessé d’être enfant on a cessé d’être artiste ». Brancusi
« Quand on a cessé d’être enfant on a cessé d’être artiste ». Brancusi
Nous sommes le théâtre puisque nous sommes toujours entre « ce qui dure » et « ce qui s’évanouit ». Nous sommes toujours écartelés dans cette contradiction irrésolue et vivante, entre ces deux pôles opposés. Le théâtre est là, lieu d’accueil, d’hospitalité absolue, pour ceux qui ne durent pas, nous les mortels. Nous nous confrontons à ce sentiment nostalgique quand nous pensons à tous ces pionniers du théâtre qui s’en vont, mais aussi quand la représentation est finie.
… Le théâtre est, avec ou sans alliés, un lieu vide dans la profondeur de la nuit, un lieu à habiter même si parfois c’est seulement avec notre mémoire et nos propres fantômes.
Parler du théâtre ainsi, je le sais, c’est un abus, car combien de théâtres divers et différents n’existent pas, le théâtre, un autre théâtre … mais par pudeur je n’arrive pas à dire mon théâtre, celui de l’acte et du jeu, du cri et de la passion que je partage avec ceux qui veulent le partager, soient acteur.ices ou spectateurs. Le théâtre comme l’occasion d’être ensemble. Oui, c’est peut-être un théâtre de rêve, au bord de disparition ! Et alors ! Pour moi c’est toujours vivifiant lutter afin de l’accomplir.
Je ne veux pas de ce théâtre qui s’accouple et se cache derrière les portes du quotidien, derrière une espèce de clôture où la mémoire usée, vécue, n’a pas droit d’entrée, ou la rigueur et la recherche non plus et où une solitude bruyante gesticule sans savoir pas très bien pourquoi.
Non, je veux de ce théâtre où les impressions qui s’impriment, quand nous nous donnons la confiance, permettent que les corps, et pourquoi pas aussi les âmes, produire les frissons de un instant, celui où rayonne une présence qu’éclaire cette salle noire où nous nous rencontrons et travaillons.
L'univers du théâtre est un habitué aux heures du soir, il se dévoile quand la nuit tombe, lorsque le noir l’emporte, c’est là qu’il se fait présent.
Le théâtre oblige aux gens à se placer dans le seuil, sur le seuil, sur ces lieux du passage, disons lé, entre la vie et la mort. Oui, les masques, tous ces personnages sortis de nulle part, tous ces objets inanimés qui peuplent silencieuses la scène et qui se débattent, qui jouent avec les corps de femmes et des hommes vivants.
Un théâtre du silence. C’est à dire, un théâtre qui garde les mots que l’on ne projette pas à l’extérieur, mais que l’on sauvegarde en silence, que l’on protège par le silence ! Ces mots qui constituent une sorte de réserve personnelle pour les acteurs.ices où ils puissent puiser aux heures des doutes ou, au contraire, de plénitude ! Un silence propre du théâtre qui protège le pouvoir des mots, qui tantôt résonnent par eux-mêmes, tantôt surgissent à travers les voix des acteurs.ices …
Oui, cette pratique théâtrale qui me passionne est celle de la recherche des détails, un théâtre de la résonance des mots, sur laquelle s’appuie l’acteur.ice pour la partager, pour la faire entendre.
Si le théâtre est toujours écartelé entre la durée et l’éphémère, il faudra choisir... ou peut-être pas … Car un théâtre qui est fait des êtres, qui parle aux êtres, à nous, aux jeunes et aux vieux, n’a pas besoin de trancher entre ce qui dure et ce qui s’évanouit.
Une chose est sûre, ce théâtre où j’habite n’a pas de portes, seulement de fenêtres. Il a une quantité innombrable de seuils, mais pas ceux qui font portes, mais plutôt ceux qui séparent de manière invisible l’extérieur de l’intérieur. Donc c’est un théâtre où on ne peut ni entrer ni sortir, pas besoin, il nous suffit de regarder et d’entendre ce qui vient du dedans et ce qui vient du dehors.
Chez ce théâtre le nous se dit toujours à la première personne, un Je qui est invité tout le temps à se transformer en témoin des rencontres où l’humain cherche à faire corps commun avec l’art.
Gabriel Alvarez
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