SPECTACLE
Sur la formation de l’acteur.ice
« Surement on peut apprendre les prières et les rites, mais pas la sainteté ! »« Surement on peut apprendre les prières et les rites, mais pas la sainteté ! »
Pour la faire courte sur la formation d’un acteur.ice, on nous dit : le théâtre et les acteurs.ices ont une vocation : raconter des histoires ! … Mais il y a quand même une différence entre le conteur d’histoires et un acteur.ice, car qui fait encore autre chose que raconter des histoires. Oui ? Mais oui … Il met ses pieds et ses mains dans certaines positions, il parle comme on ne parle jamais dans la vie, de telle sorte, que dans certains styles de théâtre, on dit qu'il joue « naturellement ». Un acteur.ice fait de choses difficiles que personne ne doit voir, et d'autres qu'il/elle montre à tous. Parfois on dit qu'il/elle est « possédé » et même dans un style le plus détaché, il/elle fait entendre la voix d'un autre et parfois celle d'une multitude ...
Ensuite.
Le théâtre en tant qu’art est quelque chose de fragile, de passagre, il est dans l’impossibilité de laisser pour la postérité quelque chose de tangible à la différence des autres arts, citons par exemple la littérature, l’écrivain passe, mais son livre reste.
Dans l’art de l’acteur.ice il y a une évidence brutale, son art est situé dans le ici et maintenant. Le passé est vite fermé pour eux, il y a peu de possibilités de se référer à une tradition vivante, au partage d’une expérience directe où pouvoir inscrire, dans le fleuve de l’art théâtral, sa propre création. Ainsi l'art de l'acteur.ice dont les racines plongent au-delà de l'écrit et peut-être au-delà de la tradition orale laisse chaque génération dans la connaissance la plus étroite de son héritage spécifique.
Les textes classiques, des pièces écrites, nous sont accessibles tels quels, ainsi que des documents filmiques, photos ou autres, mais d’une expérience directe… Donc l'intelligence historique d'un acteur passe par la réflexion sur les conditions générales de production de son art. Cela implique son désir de participation à une aventure fondatrice. Et dans cette étude, il comprend très vite que son art personnel connaîtra le même sort. Pas de deuxième chance, pas de signe dans les siècles des siècles.
Soit.
Allons à l’essentiel, en Occident l'art de l'acteur.ice est resté le plus archaïque de tous les arts. Il doit, c’est une évidence, s'appuyer sur une connaissance directe très étroite, indispensable, mais insaisissable dans ses effets réels. Le théâtre reste nécessairement un des derniers endroits où l'apprentissage professionnel transite par cette très vieille relation Maître-Élève.
Face au paradoxe constitutif de l’art de l’acteur.ice : rien pour soi d'essentiel ne peut être appris d'autrui que par expérience directe, et « l'art de ceux qui l'ont précédé est mort avec eux ». D’habitude l'acteur.ice vient vers le maître avec la question suivant : Apprends-moi.
Mais dans ma manière de voir l’échange pédagogique, je parlerais plutôt d’apprends-moi à apprendre, car le maître n'enseigne pas au sens de transmettre un savoir acquis. Ça, c'est pour les formateurs de singes. Son rôle c'est de placer chaque élève face à une épreuve à surmonter et où il/elle doit trouver sa manière pour le faire, c’est-à-dire, proposer une contrainte impérative afin que la personne puisse créer ses propres moyens de s'en sortir, donc d'assimiler réellement l'épreuve. Il faut créer des situations où c'est l'acteur.ice qui décide du degré de risque auquel il consent. Avec un maître, il sait que le choix d'un risque inférieur à ses capacités le disqualifierait plus que tout échec.
Dans l’étymologie du mot pédagogie, il y a : conduire, direction. Donc le maître conduit, dirige, stimule les acteurs.ices à inventer, au fur et à mesure, les règles de maîtrise de ce qu' on ne connaît pas et qu'on doit surpasser sans cesse.
En cela je me définis comme une sage-femme, car je suis là, devant, à coté, derrière l’acteur.ice afin de l’aider à accoucher progressivement d’une vie créative, l’aider à la découvrir et la développer.
Ce travail est possible à condition qu’il y ait la « nécessité », le besoin irrépressible, d’apprendre à surmonter les épreuves. Et qu’ils/ elles veulent découvrir dans leur mémoire de leurs muscles et de leurs nerfs une part unique, singulière de « l'âme historique» présente. C’est peut-être cela, non pas le talent, mais leurs talents.
Gabriel Alvarez
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